Evandre

Lecture cursive de textes latins et grecs

32 36 L'effort seul vainc la douleur

patience et persévérance



Tusc.II,32-36

Texte latin

L'effort seul rend la douleur supportable

XIV Ecquid scis igitur, si quid de Corinthiis tuis amiseris, posse habere te reliquam supellectilem salvam, virtutem autem si unam amiseris ( etsi amitti non potest virtus ), sed si unam confessus eris te non habere, nullam esse te habiturum ? 33 Num igitur fortem virum, num magno animo, num patientem, num gravem, num humana contemnentem potes dicere aut Philoctetam illum ? - a te enim malo discedere - Sed ille certe non fortis,

qui jacet in tecto umido,

Quod ejulatu, questu, gemitu, fremitibus

Resonando mutum flebiles voces refert.

Non ego dolorem dolorem esse nego ( cur enim fortitudo desideraretur ? ), sed eum opprimi dico patientia, si modo est aliqua patientia; si nulla est, quid exornamus philosophiam aut quid ejus nomine gloriosi sumus? Pungit dolor, vel fodiat sane : si nudus es, da jugulum; sin tectus "Vulcaniis armis ", id est fortitudine, resiste ; haec enim te, nisi ita facies, custos dignitatis relinquet et deseret. 34 Cretum quidem leges, quas sive Juppiter sive Minos sanxit de Jovis quidem sententia, ut poetae ferunt, itemque Lycurgi laboribus erudiunt juventutem, venando currendo, esuriendo sitiendo, algendo aestuando. Spartae vero pueri ad aram sic verberibus accipiuntur,

Ut multus e visceribus sanguis exeat,

non numquam etiam, ut, cum ibi essem, audiebam, ad necem; quorum non modo nemo exclamavit umquam, sed ne ingemuit quidem. Quid ergo ? hoc pueri possunt, viri non poterunt? et mos valet, ratio non valebit ?

XV 35 Interest aliquid inter laborem et dolorem. Sunt finitima omnino, sed tamen differt aliquid. Labor est functio quaedam vel animi vel corporis gravioris operis et muneris, dolor autem motus asper in corpore alienus a sensibus. Haec duo Graeci illi, quorum copiosior est lingua quam nostra, uno nomine appellant. Itaque industrios homines illi studiosos vel potius amantes doloris appellant, nos commodius laboriosos; aliud est enim laborare, aliud dolere. 0 verborum inops interdum, quibus abundare te semper putas, Graecia ! Aliud, inquam, est dolere, aliud laborare. Cum varices secabantur C. Mario, dolebat; cum aestu magno ducebat agmen, laborabat. Est inter haec quaedam tamen similitudo; consuetudo enim laborum perpessionem dolorum efficit faciliorem. 36 Itaque illi qui Graeciae formam rerum publicarum dederunt, corpora juvenum firmari labore voluerunt. Quod Spartiatae etiam in feminas transtulerunt, quae ceteris in urbibus mollissimo cultu " parietum umbris occuluntur ". Illi autem voluerunt nihil horum simile esse


apud Lacaenas virgines,

Quibus magis palaestra, Eurota, sol, pulvis, labor,

Militia in studio est quam fertilitas barbara.

Ergo his laboriosis exercitationibus et dolor intercurrit non numquam, impelluntur, feriuntur, abjiciuntur, cadunt, et ipse labor quasi callum quoddam obducit dolori.


Vocabulaire

fréquences 1,2

abjicio,is,ere,jeci,jectum : renverser

agmen,inis : armée,colonne

autem : mais,or

barbarus,a,um : étranger,barbare

cado,is,ere,cecidi,casum : tomber

certe : à coup sûr, assurément

consuetudo,inis : habitude

discedo,is,ere,cessi, cessum : s'éloigner, quitter

efficio,is,ere,feci,fectum : faire (ut : en sorte que)

exclamo,as,are : crier

exercitatio,onis : exercice

gemitus,us : gémissement

gravis,is,e : sérieux, lourd, grave

ingemesco,is,ere,gemui : se mettre à gémir

item : de même

Juppiter,Jovis : Jupiter

juvenis,is : jeune homme

juventus,utis : jeunesse

labor,oris : effort, épreuve

lex,legis : loi

magis : plus

magnus,a,um : grand

malo,mavis,malle,malui : préférer

modo (quomodo) : seulement (comment)

mollis,is,e : raffiné, douillet, mou

mos,moris : coutume

num ? : est-ce que par hasard

publicus,a,um (res publica) : public (constitution, gvt)

puer,pueri : enfant

ratio,onis : raison

refero,fers,ferre,tuli,latum : rapporter, renvoyer

reliquus,a,um : qui reste, le reste de

sanguis,inis : sang

sententia,ae : avis, volonté

sic : ainsi, tellement (ut que)

similis,is,e : semblable

sive : ou si…, soit que

sol,solis : soleil

studium,ii : zèle, passion, goût

tectum,i : abri, toit

umbra,ae : ombre

umquam : jamais, un jour

unus, a um (G. ius) : un seul

urbs,urbis : ville

valeo,es,ere,ui : être fort, bien portant

virgo,inis : jeune fille

viscera,um : entrailles, corps

fréquences 3,4

aestus,us : chaleur brûlante

confiteor,eris,eri,fessus sum : reconnaître, avouer

cultus,us : confort

etsi : même si, quoique

ferio,is,ire : frapper

firmo,as,are : affermir, endurcir

impello,is,ere,puli,pulsum : pousser, bousculer

militia,ae : exercice guerrier

mutus,a,um : muet

paries,etis : paroi

poeta,ae : poète

prodo,is,ere,didi,ditum : trahir, livrer, dénoncer

pulvis,eris : poudre, poussière

salvus,a,um : sain et sauf, intact

seco,as,are,avi,atum : couper, opérer

transfero,fers,ferre… : transmettre, transporter, traduire


Ne pas apprendre :

aestuo,as,are : avoir chaud

algeo,es,ere : avoir froid

Cretes,um : crétois

ecquid : est-ce que vraiment

ejulatus,us : hurlement, lamentation

esurio,is,ire : avoir faim

Eurotas,ae : Eurotas

fremitus,us : grondement, clameur, hurlement

intercurro,is,ere : intervenir

lacaenus,a,um : laconien

palaestra,ae : palestre

perpessio,onis : résistance

questus,us : plainte

similitudo inis : ressemblance

sitio,is,ire : avoir soif

Sparta,ae : Sparte

Spartates,ae : spartiate

umidus,a,um : humide

varix,icis : varice

venor,aris,ari : chasser


Traduction au plus près du texte


32 (…)Est-ce que donc tu sais quelque chose, à savoir que, si tu perds l’un de tes vases de Corinthe, tu peux avoir le reste de ta vaisselle intact, tandis que si tu perds une seule vertu (même si la vertu ne peut être perdue), si donc (sed reprend autem) tu avoues que tu n’en possèdes pas seulement une, tu n’en auras aucune ?

33 Donc, est-ce que par hasard tu peux dire qu’est un homme courageux, magnanime, endurant, grave (sérieux ?), méprisant les chose humaines par exemple cet illustre Philoctète ? En effet, de toi (= de ton cas), je préfère m’éloigner ; mais, assurément, il n’est pas courageux, celui qui gît à terre

dans un abri humide,

qui, par le fait de résonner de cris, de plaintes, de gémissements, de hurlements,

bien qu’il soit muet, répercute des mots pitoyables.

Moi, je n’affirme pas que la douleur ne soit pas douleur ( pourquoi en effet, le courage serait-il réclamé ? (= pourquoi aurions-nous besoin de courage ?)), mais je dis qu’elle est étouffée par l’endurance, si du moins quelque endurance existe ; mais si aucune endurance n’existe, pourquoi rehaussons-nous la philosophie, ou pourquoi sommes-nous fanfarons du fait de son nom ? la douleur transperce, admettons même qu’elle déchire ; si tu es nu, offre ta gorge ; mais si tu es recouvert des armes de Vulcain, c’est à dire de courage, résiste ; en effet celui-ci, si tu ne fais pas cela, ce gardien de ta dignité t’abandonnera et te délaissera.

34 En tout cas les lois des Crétois, que soit Jupiter, soit Minos a rendues inviolables, assurément sous la dictée de Jupiter, comme le rapportent les poètes, et , de la même façon les lois de Lycurgue forment la jeunesse au moyen d’efforts, par le fait de chasser, de courir, d’avoir faim, d’avoir soif, d’avoir froid, d’avoir chaud. De fait, à Sparte, les enfants sont reçus près de l’autel avec des coups, de telle sorte

qu’un sang abondant coule de leurs viscères,

parfois même, comme je l’ai entendu dire, alors que j’étais là-bas, jusqu’à la mort ; et aucun de ceux-ci non seulement n’a poussé un cri, mais n’a même commencé à gémir. Alors quoi ? cela, des enfants le peuvent, mais des hommes ne le pourront pas ? et l’accoutumance a de la force, mais la rationalité n’en aura pas ?

35 Il existe quelque différence entre l’effort et la douleur. Ce sont choses très voisines, mais pourtant quelque chose diffère. L’effort est , pour ainsi dire, l’accomplissement –ou par l’âme ou par le corps – d’une tâche et d’une charge assez pénibles, tandis que la douleur est un mouvement rude à l’intérieur du corps, hostile à (préjudiciable à) nos sens. Mais ces deux choses, les Grecs, dont la langue est plus riche que la nôtre, les appellent d’un seul nom. C’est pourquoi, les gens actifs, ils les appellent gens qui ont du goût ou plutôt de la passion pour la douleur, mais nous, de façon plus appropriée, nous les appelons gens qui font effort; en effet, c’est une chose de faire effort, et autre chose d’éprouver de la douleur. O Grèce parfois pauvre en mots, toi qui penses toujours en avoir en abondance ! c’est une chose, dis-je, d’éprouver de la douleur, et autre chose de faire effort. Lorsqu’on opérait les varices de Gaius Marius, il éprouvait de la douleur ; mais lorsque, sous une grande chaleur, il conduisait son armée, il faisait effort. Il existe pourtant entre ces notions une certaine ressemblance : en effet, l’habitude des efforts rend plus facile le fait de supporter jusqu’au bout les douleurs.

36 C’est pourquoi ceux qui ont donné à la Grèce la forme de son gouvernement ont voulu que les corps de leurs jeunes gens fussent affermi par l’effort. Et ceci, les Spartiates l’ont appliqué même aux femmes, qui, dans toutes les autres cités, avec un genre de vie très délicat,

restent cachées par l’ombre des murailles.

Mais eux, ils ont voulu que rien de semblable n’existe

Chez les jeunes filles Lacédémoniennes,

Qui ont plus le goût pour la palestre, l’Eurotas, le soleil, la poussière, l’effort,

L’apprentissage militaire, que pour la fécondité étrangère.

Alors, dans ces entraînements pleins d’efforts, en même temps la douleur intervient parfois, on est bousculé, frappé, jeté à terre, on tombe, et l’effort lui-même recouvre pour ainsi dire la douleur d’une sorte de cal.

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