Evandre

Lecture cursive de textes latins et grecs

49a50a Il ne faut jamais être injuste

Rester moral, quoi que pense la foule!



Criton 49a-50a

Il ne faut en aucun cas être injuste


ΣΩ. Οὐδενὶ τρόπῳ φαμὲν ἑκόντας ἀδικητέον εἶναι, ἢ τινὶ μὲν ἀδικητέον τρόπῳ, τινὶ δὲ οὔ ; ἢ οὐδαμῶς τό γε ἀδικεῖν οὔτε ἀγαθὸν οὔτε καλόν, ὡς πολλάκις ἡμῖν καὶ ἐν τῷ ἔμπροσθεν χρόνῳ ὡμολογήθη ; ὅπερ καὶ ἄρτι ἐλέγετο. Ἢ πᾶσαι ἡμῖν ἐκεῖναι αἱ πρόσθεν ὁμολογίαι ἐν ταῖσδε ταῖς ὀλίγαις ἡμέραις ἐκκεχυμέναι εἰσίν, καὶ πάλαι , ὦ Κρίτων, ἄρα τηλικοίδε γέροντες ἄνδρες πρὸς ἀλλήλους σπουδῇ διαλεγόμενοι ἐλάθομεν ἡμᾶς αὐτοὺς παίδων οὐδὲν διαφέροντες ; Ἢ παντὸς μᾶλλον οὕτως ἔχει ὥσπερ τότε ἐλέγετο ἡμῖν, εἴτε φασὶν οἱ πολλοὶ εἴτε μή · καὶ εἴτε δεῖ ἡμᾶς ἔτι τῶνδε χαλεπώτερα πάσχειν εἴτε καὶ πρᾳότερα, ὅμως τό γε ἀδικεῖν τῷ ἀδικοῦντι καὶ κακὸν καὶ αἰσχρὸν τυγχάνειν ὂν παντὶ τρόπῳ ; Φαμέν, ἢ οὔ ;

ΚΡ. Φαμέν.

ΣΩ. Οὐδαμῶς ἄρα δεῖ ἀδικεῖν.

ΚΡ. Οὐ δῆτα.

ΣΩ. Οὐδὲ ἀδικούμενον ἄρα ἀνταδικεῖν, ὡς οἱ πολλοὶ οἴονται, ἐπειδή γε οὐδαμῶς δεῖ ἀδικεῖν.

ΚΡ. Οὐ φαίνεται.

ΣΩ. Τί δὲ δή ; κακουργεῖν δεῖ, ὦ Κρίτων, ἢ οὔ ;

ΚΡ. Οὐ δεῖ δήπου, ὦ Σώκρατες.

ΣΩ. Τί δαί ; ἀντικακουργεῖν κακῶς πάσχοντα, ὡς οἱ πολλοί φασιν, δίκαιον, ἢ οὐ δίκαιον ;

ΚΡ. Οὐδαμῶς.

ΣΩ. Τὸ γάρ που κακῶς ποιεῖν ἀνθρώπους τοῦ ἀδικεῖν οὐδὲν διαφέρει.

ΚΡ. Ἀληθῆ λέγεις.

ΣΩ. Οὔτε ἄρα ἀνταδικεῖν δεῖ οὔτε κακῶς ποιεῖν οὐδένα ἀνθρώπον οὐδ ΄ ἂν ὁτιοῦν πάσχῃ ὑπ ΄ αὐτῶν. Καὶ ὅρα, ὦ Κρίτων, ταῦτα καθομολογῶν, ὅπως μὴ παρὰ δόξαν ὁμολογῇς· οἶδα γὰρ ὅτι ὀλίγοις τισὶ ταῦτα καὶ δοκεῖ καὶ δόξει. Οἷς οὖν οὕτω δέδοκται καὶ οἷς μή, τούτοις οὐκ ἔστι κοινὴ βουλή, ἀλλ ΄ ἀνάγκη τούτους ἀλλήλων καταφρονεῖν ὁρῶντας τὰ ἀλλήλων βουλεύματα. Σκόπει δὴ οὖν καὶ σὺ εὖ μάλα πότερον κοινωνεῖς καὶ συνδοκεῖ σοι καὶ ἀρχώμεθα ἐντεῦθεν βουλευόμενοι, ὡς οὐδέποτε ὀρθῶς ἔχοντος οὔτε τοῦ ἀδικεῖν οὔτε τοῦ ἀνταδικεῖν οὔτε κακῶς πάσχοντα ἀμύνεσθαι ἀντιδρῶντα κακῶς , ἢ ἀφίστασαι καὶ οὐ κοινωνεῖς τῆς ἀρχῆς ; Ἐμοι μὲν γὰρ καὶ πάλαι οὕτω καὶ νῦν ἔτι δοκεῖ· σοὶ δὲ εἴ πῃ ἄλλῃ δέδοκται, λέγε καὶ δίδασκε. Εἰ δ ΄ ἐμμένεις τοῖς πρόσθεν, τὸ μετὰ τοῦτο ἄκουε.

ΚΡ. Ἀλλ ΄ ἐμμένω τε καὶ συνδοκεῖ μοι · ἀλλὰ λέγε.

ΣΩ. Λέγω δὴ αὖ τὸ μετὰ τοῦτο, μᾶλλον δἐρωτῶ πότερον ἃ ἄν τις ὁμολογήσῃ τῳ δίκαια ὄντα ποιητέον ἢ ἐξαπατητέον ;

ΚΡ. Ποιητέον.

ΣΩ. Ἐκ τούτων δὴ ἄρθει. Ἀπιόντες ἐνθένδε ἡμεῖς μὴ πείσαντες τὴν πόλιν πότερον κακῶς τινας ποιοῦμεν, καὶ ταῦτα οὓς ἥκιστα δεῖ, ἢ οὔ ; καὶ ἐμμένομεν οἷς ὡμολογήσαμεν δικαίοις οὖσιν, ἢ οὔ ;

ΚΡ. Οὐκ ἔχω, ὦ Σώκρατες, ἀποκρίνεσθαι πρὸς ὃ ἐρωτᾷς· οὐ γὰρ ἐννοῶ.


Criton 49a-50a Traduction au plus près du texte

SOCRATE : Est-ce que nous disons que d’aucune manière il ne nous faut être injustes volontairement, ou bien qu’il faut être injustes d’une certaine manière, et pas d’une certaine manière ? ou bien que le fait d’être injuste n’est nullement ni bon ni beau , comme nous en avons été d’accord souvent aussi dans le temps d’avant ? ce qui tout à l’heure aussi était dit . Ou bien tous ces points d’accord d’autrefois pour nous, dans ces quelques jours-ci, se sont complètement gaspillés, et depuis longtemps, Criton, donc, nous qui sommes des vieux de cet âge, en discutant avec ardeur l’un avec l’autre, à notre insu, nous ne différons en rien des enfants ? Est-ce qu’il n’en est pas absolument ainsi qu’il était dit alors pour nous, que la foule le dise ou non ? et soit qu’il faille que nous subissions des choses encore plus pénibles que celles si, soit <qu’il faille que nous subissions> des choses plus faciles à supporter, cependant le fait d’être injuste pour celui qui est injuste ne se trouve-t-il pas être mauvais et honteux de toute manière ? Le disons-nous, ou non ?

CRITON : Nous le disons.

SOCRATE : Donc il ne faut absolument pas être injuste.

CRITON : Assurément, non.

SOCRATE : Il ne faut donc pas même que celui qui subit une injustice fasse en retour une injustice, comme le croit la foule, puisque assurément il ne faut absolument pas être injuste.

CRITON : Il apparaît que non.

SOCRATE : Quoi donc ? Faut-il mal agir, ou non ?

CRITON : Il ne le faut pas, assurément, Socrate.

SOCRATE : Alors quoi ? Pour quelqu’un qui subit le mal, est-il juste de mal agir en retour, comme la foule le dit, ou est-ce injuste ?

CRITON : Ce n’est absolument pas juste.

SOCRATE : En effet, le fait de causer du mal aux hommes ne diffère en rien du fait d’être injuste.

CRITON : Tu dis vrai.

SOCRATE : Donc il ne faut ni commettre une injustice en retour d’une injustice, ni faire de mal à aucun des hommes, pas même si tu subis un tort de quelque manière que ce soit de leur fait. Et prends garde, Criton, en tombant d’accord sur ces choses, que tu ne sois d’accord contrairement à ton opinion ; car je sais que ces choses semblent bonnes et sembleront bonnes à peu de personnes. Or, pour ceux auxquels elles ont semblé ainsi et pour ceux auxquels elles ne l'ont pas semblé, une délibération commune n’est pas possible, mais il est nécessaire que ceux-ci se méprisent les uns les autres en voyant leurs résolutions, aux uns et aux autres. Par conséquent examine donc bien toi aussi, de très près, si tu es d’accord, si cela te parais bon également, et si nous allons commencer à délibérer à partir de là, à savoir qu’il n’est jamais bien ni de commettre une injustice ni de commettre une injustice en retour d’une injustice ni que quelqu’un qui est maltraité se défende en rendant mal pour mal, ou bien si tu fais défection et n’es pas d’accord avec ce commencement (= ce point de départ). Car pour ma part, depuis longtemps déjà cela me semble bon ainsi, et encore maintenant ; mais si pour toi, s’il t’a semblé bon de quelque autre manière, dis-le et apprends-le moi. Mais si tu demeures fidèle aux principes d’avant, écoute ce qui vient après cela.

CRITON : Mais je <leur> demeure fidèle, et cela me paraît bon à moi aussi ; alors parle.

SOCRATE : Je vais donc dire à mon tour ce qui vient après cela (= ce qui s’ensuit), ou plutôt je vais te demander s’il faut faire les choses dont quelqu’un a convenu avec quelqu’un, puisqu’elles sont justes, ou faut-il tromper.

CRITON : Il faut les faire.

SOCRATE : Observe attentivement à partir de cela. Est-ce que, en nous en allant d’ici en désobéissant à la cité, nous faisons du mal à certains, précisément à ceux à qui il faut le moins <en faire>, ou non ? Et est-ce que nous demeurons fidèles à ce dont nous étions convenus que c’était juste, ou non ?

CRITON : Je ne peux, Socrate, répondre à ce que tu demandes : car je ne comprends pas.


Criton 49a-50a Traduction H.Petitmangin, ed de Gigord, Paris, 1936

Socrate : Maintenons-nous qu’il ne faut en aucune manière commettre volontairement l’injustice ou que l’on peut la commettre d’une certaine manière, mais non d’une autre ? Ou bien, l’injustice n’est-elle en aucun cas bonne et honorable, comme nous l’avons reconnu souvent autrefois d’un commun accord et comme nous le disions encore tout à l’heure ? Ou bien, toutes ces assertions, sur lesquelles nous étions autrefois d’accord, se sont-elles écroulées dans l’espace de ces quelques jours et faut-il avouer que, à l’âge où nous étions et discutant entre nous sérieusement, nous avons été longtemps sans nous apercevoir que nous ressemblions tout à fait à des enfants ? N’en est-il pas toujours absolument comme nous le disions alors, que d’ailleurs la foule soit ou non d’accord avec nous ? Et que nous soyons exposés à souffrir des traitements plus durs ou moins durs que celui-ci, ne reste-t-il pas vrai que l’injustice est de toutes manières un mal et un déshonneur pour celui qui la commet ? Maintenons-nous ce principe ou non ?

Criton : Nous le maintenons.

Socrate : Il ne faut donc, sous aucun prétexte, agir injustement ?

Criton : Non certes !

Socrate : On ne doit donc pas non plus, quand on est traité injustement, répondre par une injustice, comme on le pense généralement, puisqu’il ne faut, en aucun cas, commettre l’injustice ?

Criton : Il est évident qu’on ne le doit pas.

Socrate : Dis-moi encore : doit-on faire le mal, Criton, ou doit-on s’en abstenir ?

Criton : On doit s’en abstenir sans doute, Socrate.

Socrate : Eh bien ! a-t-on le droit, conformément à l’opinion générale, ou ne l’a-t-on pas, de faire du mal quand on est soi-même maltraité ?

Criton : On n’a aucunement ce droit.

Socrate : En effet, faire du mal à autrui ou commettre une injustice, c’est tout un.

Criton : Tu dis vrai.

Socrate : Par conséquent il ne faut faire du faire à aucun être humain, quel que soit le traitement que l’on ait reçu de lui. Si tu admets ce principe, prends bien garde que ce ne soit pas contrairement à ta propre pensée, car je sais bien que c’est à un petit nombre seulement qu’il paraît et paraîtra vrai. Ceux qui l’admettent et ceux qui ne l’admettent pas ne sauraient s’entendre sur ce qu’il faut faire : il est fatal qu’ils se méprisent les uns les autres en voyant leur conduite réciproque. Examine donc bien toi-même si tu admets la chose avec moi, si c’est bien là ton opinion, et s’il faut que nous prenions comme point de départ de notre délibération cette règle : qu’il n’est jamais bien de commettre l’injustice, ni de répondre à l’injustice par l’injustice, ni, quand on est maltraité de se défendre en rendant le mal pour le mal ; ou si, au contraire, tu te sépares de moi et n’admets pas ce principe. Pour moi, j’en suis persuadé depuis longtemps et aujourd’hui encore je ne cesse pas de l’être. Quant à toi, si tu penses différemment, parle et renseigne-moi. Mais si tu gardes nos idées d’autrefois, écoute maintenant ce qui s’en déduit.

Criton : Certes, je les garde et je suis de ton avis : mais parle.

Socrate : Je vais donc dire ce qui s’ensuit ou plutôt t’interroger. Quand on a fait avec quelqu’un une convention juste, faut-il l’exécuter ou manquer de parole ?

Criton : Il faut l’exécuter.

Socrate : Ecoute bien ce qui s’ensuit. En sortant d’ici sans l’autorisation de la cité, faisons-nous du tort à quelqu’un, et précisément à ceux auxquels il conviendrait le moins de nuire, ou ne leur faisons-nous pas tort ? Restons-nous fidèles ou non à de justes engagements ?

Criton : Je ne puis, Socrate, répondre à ta question ; car je ne la comprends pas.




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