Evandre

Lecture cursive de textes latins et grecs

46b47a La raison avant toutes choses

Il y a opinion et opinion !



Criton 46b-47a Réponse de Socrate à Criton : les principes

ΣΩ.

(46b) Ὦ φίλε Κρίτων, ἡ προθυμία σου πολλοῦ ἀξία, εἰ μετά τινος ὀρθότητος εἴη· εἰ δὲ μή, ὅσῳ μείζων, τοσούτῳ χαλεπωτέρα. Σκοπεῖσθαι οὖν χρὴ ἠμᾶς εἴτε ταῦτα πρακτέον εἴτε μή· ὡς ἐγώ, οὐ μόνον νῦν, ἀλλὰ καὶ ἀεί, τοιοῦτος οἷος τῶν ἐμῶν μηδενὶ ἄλλῳ πείθεσθαι ἤ τῷ λόγῳ ὃς ἄν μοι λογιζομένῳ βέλτιστος φαίνεται. Τοὺς δὲ λόγους οὓς ἐν τῷ ἔμπροσθεν ἔλεγον οὐ δύναμαι νῦν ἐκβαλεῖν, ἐπειδή μοι ἥδε ἡ τύχη γέγονεν, ἀλλὰ σχεδόν τι ὅμοιοι φαίνονταί μοι, καὶ (46c) τοὺς αὐτοὺς πρεσβεύω καὶ τιμῶ οὕσπερ καὶ πρότερον· ὧ ἐὰν μὴ βελτίω ἔχωμεν λέγειν ἐν τῷ παρόντι, εὖ ἴσθι ὅτι οὐ μή σοι συγχωρήσω, οὐδ ΄ ἂν πλείω τῶν νῦν παρόντων ἡ τῶν πολλῶν δύναμις ὥσπερ παῖδας ἡμᾶς μορμολύττηται, δεσμοὺς καὶ θανάτους ἐπιπέμπουσα καὶ χρημάτων ἀφαιρέσεις. Πῶς οὖν ἂν μετριώτατα σκοποίμεθα αὐτά ; εἰ πρῶτον μὲν τοῦτον τὸν λόγον ἀναλάβοιμεν ὃν σὺ λέγεις περὶ τῶν δοξῶν πότερον (46d) καλῶς ἐλέγετο ἑκάστοτε ἢ οὔ, ὅτι ταῖς μὲν δεῖ τῶν δοξῶν προσέχειν τὸν νοῦν, ταῖς δὲ οὔ · ἢ πρὶν μὲν ἐμὲ δεῖν ἀποθνῄσκειν καλῶς ἐγένετο, νῦν δὲ κατάδηλος ἄρα ἐγένετο ὅτι ἄλλως ἕνεκα λόγου ἐλέγετο, ἦν δὲ παιδιὰ καὶ φλυαρία ὡς ἀληθῶς ; Ἐπιθυμῶ δ ΄ ἔγωγ ΄ ἐπισκέψασθαι, ὦ Κρίτων, κοινῇ μετὰ σοῦ εἴ τί μοι ἀλλοιότερος φανεῖται ἐπειδὴ ὧδε ἔχω ἢ ὁ αὐτός, καὶ ἐάσομεν χαίρειν ἢ πεισόμεθα αὐτῷ . Ἐλέγετο δέ πως, ὡς ἐγᾦμαι, ἑκάστοτε ὧδε ὑπὸ τῶν οἰομένων τι λέγειν, ὥσπερ νυνδὴ ἐγὼ ἔλεγον, ὅτι, τῶν δοξῶν ἃς (46 e) οἱ ἄνθρωποι δοξάζουσι, δέοι τὰς μὲν περὶ πολλοῦ ποιεῖσθαι, τὰς δὲ μή. Τοῦτο πρὸς θεῶν, ὦ Κρίτων, οὐ δοκεῖ καλῶς σοι λέγεσθαι ; Σὺ γάρ, ὅσα γε τἀνθρώπεια, ἐκτὸς εἶ τοῦ μέλλειν (47a) ἀποθνῄσκειν αὔριον, καὶ οὐκ ἂν σὲ παρακρούοι ἡ παροῦσα συμφορά. Σκόπει δή · οὐχ ἱκανῶς δοκεῖ σοι λέγεσθαι ὅτι οὐ πάσας χρὴ τὰς δόξας τῶν ἀνθρώπων τιμᾶν, ἀλλὰ τὰς μέν, τὰς δ ΄ οὔ, οὐδὲ πάντων, ἀλλὰ τῶν μέν, τῶν δ ΄ οὔ ; Τί φῄς ; Ταῦτα οὐχὶ καλῶς λέγεται ;

ΚΡ. Καλῶς.

ΣΩ. Οὐκοῦν τὰς μὲν χρηστὰς τιμᾶν, τὰς δὲ πονηρὰς μή ;

ΚΡ. Ναί.

ΣΩ. Χρησταὶ δὲ οὐχ αἱ τῶν φρονίμων, πονηραὶ δὲ αἱ τῶν ἀφρόνων ;

ΚΡ. Πῶς δ ΄ οὔ ;


Vocabulaire dans l'ordre du texte : Criton 46b-47a

46b

προ-θυμία,ας (ἡ) : ardeur, empressement

ὀρθότης,ητος (ή) : rectitude

ὅσος,η,ον : autant que ( ὅσῳ ... τοσούτῳ ... : )

σκοπέω,ῶ : considérer, examiner

χρή : il faut

εἴτε : soit, soit que

ἀεί : toujours

λογίζομαι : compter, calculer, réfléchir

βελτίων,βέλτιστος : meilleur, le meilleur

ἔμπροσθεν : avant, auparavant

δύναμαι : pouvoir

ἐκ-βάλλω : lancer hors, repousser

ἐπειδή : lorsque, après que, puisque

γίγνομαι : devenir, être

ὅμοιος,α,ον : semblable

46c

πρεσβεύω : être âgé, respecter

ἐάν : si

ἐν τῷ παρόντι : dans les circonstances présentes

οὐ,οὐκ,οὐχ,οὐχί : ne pas

οὐ μή + futur : = négation forte : certainement pas

συγ-χωρέω,ῶ : se réunir, concéder

δύναμις,εως (ή) : puissance

παῖς,παιδός (ὁ) : enfant

μορμολύττω : effrayer avec un épouvantail, épouvanter

δεσμός,οῦ (ὁ) : lien, chaîne

θάνατος,ου (ό) : mort

ἐπι-πέμπω : envoyer en plus

ἀφ-αίρεσις,εως (ἡ) : la confiscation

μετριώς : avec mesure, de manière juste

πρῶτον : d’abord

ἀνα-λαμβάνω : retenir, reprendre

46d

πότερον ... ἤ ...ἤ ... : est-ce que … ou…ou…; si … ou…ou…

ἑκάστοτε : chaque fois

προσ-έχω : diriger vers, s'appliquer à

πρίν : avant, avant que

κατά-δηλος,ος,ον : tout à fait clair, manifeste, parfaitement évident

παιδίον,ου (τό) : petit enfant

φλυαρία,ας (ή) : bavardage, niaiserie

ἀληθῶς : véritablement ( ὡς renforce ἀληθῶς )

ἐπι-θυμέω,ῶ : désirer

ἐπι-σκέπτομαι : aller examiner, observer

ἀλλοῖος,α,ον : différent, autre qu’il faut

ὧδε : ainsi

χαίρω : se réjouir ( ἐᾶν χαίρειν : )

πως : de quelque manière

ἐγᾦμαι = ἐγὼ οἶμαι

νυν-δή : à l'instant, il y a un moment

ἄνθρωπος,ου (ὁ) : homme

46 e

δοξάζω : avoir une opinion

πρός + Γ : au nom de

ὄσα τἀνθρώπεια : selon les opinions (ou les prévisions) humaines, autant qu'il est humain

ἐκτός + Γ : loin de, à l'abri de

μέλλω : être sur le point de

47a

αὔριον : demain

παρα-κρούομαι : tromper, frauder

ἱκανῶς : suffisamment

οὐκοῦν : donc (attention à l’accentuation !)

ναί : oui

χρηστός,ή,όν : bon, honnête

πονηρός,ά,όν : mauvais, méchant

ἄ-φρων,ων,ον : insensé

ἄρα : alors, donc


Vocabulaire par ordre de fréquence : Criton 46b-47a

Fréquence 1 :

ἀεί : toujours

ἄνθρωπος,ου (ὁ) : homme

ἄρα : alors, donc

βελτίων, βέλτιστος : meilleur, le meilleur

γίγνομαι : devenir, être

δύναμαι : pouvoir

δύναμις,εως (ή) : puissance

ἐάν : si

ἐπειδή : lorsque, après que, puisque

ἐπι-θυμέω,ῶ : désirer

θάνατος,ου (ό) : mort

μέλλω : être sur le point de

ὅσος,η,ον : autant que

οὐ,οὐκ,οὐχ,οὐχί : ne pas

οὐκοῦν : donc

παῖς,παιδός (ὁ) : enfant

πονηρός,ά,όν : mauvais, méchant

πρίν : avant, avant que

πρός + gén : au nom de

πρῶτον : d’abord

σκοπέω,ῶ : considérer, examiner

χαίρω : se réjouir

χρή : il faut

χρηστός,ή,όν : bon, honnête

Fréquence 2 :

δεσμός,οῦ (ὁ) : lien, chaîne

εἴτε : soit, soit que

ἐκ-βάλλω : lancer hors, repousser

λογίζομαι : compter, réfléchir

ὅμοιος,α,ον : semblable

προσ-έχω : diriger vers, s'appliquer à

συγ-χωρέω,ῶ : se réunir, concéder

Fréquence 3

ἀληθῶς : véritablement

παιδίον,ου (τό) : petit enfant

παρα-κρούομαι : tromper, frauder

πρεσβεύω : être âgé, respecter

πως : de quelque manière

ὧδε : ainsi

Fréquence 4

ἔμπροσθεν : avant, auparavant

ἱκανῶς : suffisamment

μετριώς : avec mesure

ναί : oui

προ-θυμία,ας (ἡ) : ardeur, empressement

Ne pas apprendre

ἀλλοῖος,α,ον : différent, autre qu’il faut

ἀνα-λαμβάνω : retenir, reprendre

αὔριον : demain

ἄ-φρων,ων,ον : insensé

ἑκάστοτε : chaque fois

ἐπι-πέμπω : envoyer en plus

ἐπι-σκέπτομαι : aller examiner, observer

φλυαρία,ας (ή) : bavardage, niaiserie

ὀρθότης,ητος (ή) : rectitude


Criton 46a-47b : traduction au plus près du texte

Mon cher Criton, ton ardeur serait digne de beaucoup <de prix>, si elle existait avec une certaine rectitude ; sinon, plus elle est grande, plus elle est pénible. Il nous faut donc examiner s’il faut faire cela ou non. De même que moi, pas maintenant, mais aussi toujours, je suis homme à me laisser persuader par rien de ce qui me concerne d’autre que par la raison qui peut m’apparaître la meilleure, quand j’y réfléchis. Précisément, les raisons que j’ai dites auparavant, je ne peux maintenant les rejeter, parce que ce malheur m’est arrivé, bien au contraire < :> elles m’apparaissent, ou peu s’en faut, semblables, et je respecte et j’honore les mêmes que, justement, avant aussi ; et si nous ne pouvons pas dire < une raison > meilleure que celles-là, dans la situation présente, sache bien que je ne te céderai pas, pas même si , encore plus que maintenant, la puissance de la multitude nous effrayait avec des épouvantails comme des enfants, en envoyant en plus des chaînes, des morts, et des confiscations de biens. Comment donc pourrions-nous examiner ces choses de la manière la plus juste ? Si, d’abord, nous reprenions cette raison que tu dis à propos des opinions, <à savoir> est-ce que, chaque fois il était justement dit ou non qu’il fallait tenir compte de certaines des opinions, et pas des autres ; ou bien , qu’avant qu’il me faille mourir, c’était dit justement, mais que maintenant, donc, il était parfaitement évident que cette raison était dite autrement, pour le mot, mais c’était en réalité enfantillages et niaiseries ? Oui, pour ma part, je désire examiner de près, en commun avec toi, si en quoi que ce soit, <cette raison> m’apparaîtra différente parce que je suis ainsi, ou bien la même, et <si> nous l’enverrons promener, ou bien <si> nous nous laisserons persuader par elle. Il était donc dit à peu près, comme je le crois, chaque fois, ainsi, par les gens qui croient dire quelque chose <de valable>, comme moi je viens de le dire, à savoir que, parmi les opinions que les hommes émettent, il fallait faire beaucoup de cas des unes, et pas des autres. Cela, par les dieux, Criton, ne te semble-t-il pas être dit justement ? Car toi, autant qu’on peut prévoir les choses humaines, tu es hors du fait de devoir mourir demain, et le malheur présent ne troublerait pas ton jugement. Examine donc : ne te paraît-il pas convenable qu’il soit dit qu’il ne faut pas honorer toutes les opinions des hommes, mais certaines oui, d’autres non, et pas non plus <les opinions> de tous, mais des uns oui, des autres non ? Que dis-tu ? Cela n’est-il pas dit justement ?

Criton : c’est juste.

Socrate : Donc <il faut> honorer les valables, et pas les mauvaises ?

Criton : oui

Socrate : et les valables ne sont-elles pas celles des gens réfléchis, et les mauvaises celles des gens déraisonnables? 

Criton : Comment n’en serait-il pas ainsi ?


Criton 46b 47a : traduction H. Petitmangin, ed de Gigord, Paris, 1936


Socrate : Mon cher Criton, ton empressement serait très méritoire, s’il était d’accord avec le devoir. Sinon, plus il est vif, plus il est regrettable. Nous devons donc examiner s’il faut agir ou non comme tu le proposes. Car je suis ainsi fait – cela ne date pas d’aujourd’hui et je fus toujours le même – que je n’obéis à aucune de mes propres impulsions, sinon à celui de mes raisonnements que la réflexion me fait paraître le meilleur. Or, les arguments que j’exposais précédemment, je ne puis les rejeter aujourd’hui, après ce qui m’est arrivé. Ils me paraissent toujours aussi valables et ce sont les mêmes qu’auparavant qui s’imposent à mon respect et à mon estime. Si nous n’en avons pas de meilleurs à faire valoir actuellement, sache bien que je ne céderai pas, même si la puissance de la foule me menaçait de maux encore plus considérables – tout comme on effraie un enfant avec un épouvantail – en étalant devant moi les chaînes, la mort et les confiscations. Or, comment examiner la chose de la façon la plus raisonnable ? En reprenant la question, soulevée par toi à propos des opinions : avions-nous raison de soutenir à chaque occasion qu’il faut se préoccuper de certaines opinions et négliger les autres ? Cette affirmation était-elle juste avant que je fusse condamné à mort et devient-il évident maintenant, que c’était une simple manière de dire et qu’il ne s’agissait en réalité que d’amusement et de bavardage ? Pour moi, je désire examiner d’accord avec toi, Criton, si cette thèse m’apparaîta différente, maintenant que je me trouve dans cette situation, ou au contraire toujours pareille, et s’il faut l’abandonner ou nous y soumettre. Or nous répétions, si je ne me trompe, à chaque occasion, avec la conviction de dire une chose sérieuse, ce que je disais précisément tout-à-l’heure, c’est-à-dire que certaines opinions qui règnent parmi les hommes méritent le plus grand respect et que d’autres n’en méritent aucun. Au nom des dieux, Criton, n’approuves-tu pas cette affirmation ? Car, autant que les choses humaines permettent de le supposer, tu n’es pas en danger de mourir demain ne par conséquent exposé à dévier de la vérité en présence de cette menace.

Examine donc cette question : n’a-t’on pas raison de dire qu’il faut tenir compte , non pas de toutes les opinions, mais de certaines seulement à l’exclusion des autres ? ni des opinions de tout le monde, mais de celles de certaines personnes à l’exclusion des autres ? Que t’en semble ? N’a-t-on pas raison de parler ainsi ?

Criton : On a raison .

Socrate : Il convient donc de tenir compte des opinions justes et non point des mauvaises ?

Criton : Oui.

Socrate : Or, justes sont les opinions des connaisseurs, fausses celles des ignorants ?

Criton : Il n’en peut être autrement.

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