29 32 contre la conception stoïcienne
la douleur existe réellement
Tusc. II, 29-32 La douleur existe : les Stoïciens ont tort
Texte latin
29 Concludunt ratiunculas Stoici, cur non sit malum; quasi de verbo, non de re laboretur. Quid me decipis, Zeno ? Nam cum id, quod mihi horribile videtur, tu omnino malum negas esse, capior et scire cupio quo modo id quod ego miserrimum existimem ne malum quidem sit. " Nihil est ", inquit, " malum, nisi quod turpe atque vitiosum est ". Ad ineptias redis. Illud enim, quod me angebat, non eximis. Scio dolorem non esse nequitiam; desine id me docere ; hoc doce, doleam necne doleam nihil interesse. " Numquam quicquam ", inquit, " ad beate quidem vivendum, quod est in una virtute positum ; sed est tamen rejiciendum ". Cur? " Asperum est, contra naturam, difficile perpessu, triste, durum". XIII 30 Haec est copia verborum, quod omnes uno verbo malum appellamus, id tot modis posse dicere. Definis tu mihi, non tollis dolorem, cum dicis asperum, contra naturam, vix quod ferri tolerarique possit; nec mentiris ; sed re succumbere non oportebat verbis gloriantem. " Dum nihil bonum, nisi quod honestum, nihil malum, nisi quod turpe " - optare hoc quidem est, non docere. Illud et melius et verius, omnia quae natura aspernetur, in malis esse, quae adsciscat, in bonis. Hoc posito et verborum concertatione sublata tantum tamen excellet illud, quod recte amplexantur isti, quod honestum, quod rectum, quod decorum appellamus, quod idem interdum virtutis nomine amplectimur, ut omnia praeterea, quae bona corporis et fortunae putantur, perexigua et minuta videantur, < igitur > ne malum quidem ullum nec si in unum locum conlata omnia sint, cum turpitudinis malo comparanda. 31 Quare si, ut initio concessisti, turpitudo pejus est quam dolor, nihil est plane dolor. Nam dum tibi turpe nec dignum viro videbitur gemere, ejulare, lamentari, frangi, debilitari dolore, dum honestas, dum dignitas, dum decus aderit, tuque in ea intuens te continebis, cedet profecto virtuti dolor et animi inductione languescet. Aut enim nulla virtus est aut contemnendus omnis dolor. Prudentiamne vis esse, sine qua ne intellegi quidem ulla virtus potest ? Quid ergo ? ea patieturne te quicquam facere nihil proficientem et < frustra > laborantem, an temperantia sinet te immoderate facere quicquam, an coli justitia poterit ab homine propter vim doloris enuntiante commissa, prodente conscios, multa officia relinquente ? 32 Quid ? fortitudini comitibusque ejus, magnitudini animi, gravitati, patientiae, rerum humanarum despicientiae quo modo respondebis ? adflictusne et jacens et lamentabili voce deplorans audieris : " 0 virum fortem ! " ? Te vero ita adfectum ne virum quidem quisquam dixerit. Amittenda igitur fortitudo est aut sepeliendus dolor.
Vocabulaire par ordre de fréquence :
fréquences 1 et 2
amitto,is,ere,misi,missum : renoncer à, renvoyer, perdre
an ? : est-ce que vraiment ?
animus,i : âme, courage
audio,is,ire,ivi,itum : entendre, entendre dire
autem : mais, or
colo,is,ere,colui,cultum : cultiver, honorer, pratiquer
comes,itis : compagnon, compagne
committo,is,ere,… : confier
contemno,is,ere,psi,ptum : mépriser, dédaigner
contineo,es,ere,ui, tentum : contenir, maîtriser
de + abl : hors de, du haut de, d'après
difficilis,is,e : difficile
discedo,is,ere,cessi,cessum : s'éloigner, quitter
dolor,oris : douleur
durus,a,um : dur
ergo : alors, eh bien
fortis,is,e : courageux, vaillant
fortitudo,inis : courage, vaillance
gravitas,atis : gravité, sérieux
humanus,a,um : humain
igitur : donc, par conséquent
inquam, inquit : dis-je, dit-il
jaceo,es,ere,ui : être allongé à terre
laboro,as,are : faire effort, travailler
magnitudo,inis : grandeur (d'âme)
malum,i : le mal
minuo,is,ere,ui,utum : diminuer, réduire
numquam : ne jamais
officium,ii : devoir, obligation
patior,eris,i,passus sum : supporter, endurer, souffrir
patientia,ae : endurance, patience
possum,es,esse,potui : pouvoir
praeterea : en outre
propter + acc : à cause de
prudentia,ae : sagesse, prévoyance
quare : pourquoi ; c’est pourquoi
quasi : comme si, comme
quidem (ne … quidem) : en tout cas (ne pas même)
quisquam,quaequam, quicquam : quelqu'un
redeo,is,ire,ivi,itum : revenir
relinquo,is,ere,qui,ctum : délaisser, abandonner
res,rei : chose
respondeo,es,ere,di,sum : répondre
scio,is,ire,scivi,scitum : savoir
sed : mais
tamen : pourtant, cependant
tot : autant de, tant de, si nombreux
unus, a um (G. ius) : un seul
vero : mais, de fait, en vérité
vis,vim : force, violence
vir,viri : homme, héros
virtus,utis : vertu
vox,vocis : voix, mot
fréquences 3 et 4 :
amplector,eris,i : embrasser
comparo,as,are : comparer
conscius,a,um : associé, complice
decorus,a,um : bienséant, beau
doleo,es,ere,ui : souffrir
interdum : quelquefois
intueor,eris,eri, tuitus sum : regarder
lamentor,aris,ari : se plaindre, se lamenter
prodo,is,ere,didi,ditum : trahir, livrer, dénoncer
recte : droit, à bon droit, bien
sepelio,is,ire,pelui,pultum : ensevelir, enterrer
sino,is,ere,sivi,situm : laisser, permettre
tolero,as,are : supporter, endurer
Ne pas apprendre
ango,is,ere,anxi : serrer, étrangler,
beate : de façon heureuse
debilito,as,are : affaiblir
ejulo,as,are : se lamenter, se plaindre
enuntio,as,are : révéler, divulguer
glorior,aris,ari : se glorifier, tirer vanité
horribilis,is,e : horrible, affreux
immoderate : sans mesure
ineptiae,arum : sottise, stupidité
justitia,ae : justice
lamentabilis,is,e : plaintif, lamentable
languesco,is,ere : tomber malade, s’affaiblir
mentior,iris,iri : mentir, tromper, se tromper, contrefaire
necne : ou non
perexiguus,a,um : tout petit, minuscule
perpetior,eris,i,pessus sum : endurer jusqu’au bout
ratiuncula,ae : pauvre petit raisonnement
rejicio,is,ere : rejeter
stoicus,i : stoïcien
temperantia,ae : contrôle de soi, tempérance
vitiosus,a,um : vicié, corrompu, altéré, fautif, dépravé
Traduction au plus près du texte :
29 Les Stoïciens forment de petits raisonnements <pour montrer> pourquoi elle n’est pas un mal ; comme si <c’était> au sujet du mot, et non au sujet de la chose, <qu’> on se mettait en peine. Pourquoi me trompes-tu, Zénon ? Car lorsque ce qui, à moi, me semble effrayant, tu affirmes, toi, que ce n’est absolument pas un mal, je suis séduit, et je désire savoir comment ce que moi, je juge très malheureux n’est même pas un mal.
« Rien n’est, dit-il , un mal, sauf ce qui est honteux (laid) et vicieux. »
« Tu retournes à tes sottises. En effet ce qui m’angoissait, tu ne le détruis pas. Je sais <bien> que la douleur n’est pas perversité (méchanceté ?) ; arrête de me l’enseigner ; enseigne-moi ceci, à savoir qu’il est sans importance que j’éprouve de la douleur ou non. »
« Jamais aucune importance en rien, du moins pour vivre de façon heureuse, ce qui (= vivre de façon heureuse) est placé dans la seule vertu ; mais il faut pourtant <la = dolor> rejeter. »
« Pourquoi ? »
« C’est quelque chose de rude, contre nature, difficile à supporter, désagréable, dur. »
30
« Ça, c’est le signe d’un riche vocabulaire, que de pouvoir dire de tant de façons , ce que nous tous, nous appelons , avec un seul mot, le mal. Toi, tu me définis la douleur, mais tu ne me l’enlèves pas, lorsque tu dis qu’est rude, contre nature, ce qui peut à peine être supporté et toléré ; et tu ne mens pas ; mais il n’aurait pas fallu (et il ne faudrait pas : valeur de l’imparfait) s’avouer vaincu par la chose, en faisant le fanfaron (un miles gloriosus est un soldat fanfaron) avec des mots. »
« Aussi longtemps que rien n’est le bien, sauf ce qui est beau <moralement>, rien n’est le mal, sauf ce qui est honteux (laid). »
« Ça, assurément, c’est exprimer un souhait, non un enseignement . Ce qui est meilleur et plus vrai, c’est que tout ce que la nature repousse, soit dans les maux, et tout ce quelle approuve, dans les biens. »
Ceci étant posé, et la querelle de mots une fois supprimée, cela seulement cependant s’imposera, que ces gens-là aiment avec raison (= ont raison d’aimer), ce que nous appelons le beau <moral>, le correct, l’honorable, ce que, de même, parfois nous embrassons sous le nom de la vertu, si bien que toutes les choses outre cela qui sont considérées comme des biens du corps et de la fortune , semblent minuscules et insignifiantes, et donc que pas même un seul mal ni tous les maux (cf. pluriel neutre) s’ils ont été rassemblés en un seul lieu, ne peuvent être comparés au mal de la honte (laideur morale).
31 C’est pourquoi si, comme tu l’a reconnu au début, la honte (laideur morale) est chose pire que la douleur, clairement (= il est clair que) la douleur n’est rien. Car aussi longtemps qu’il te paraîtra honteux (laid) et indigne d’un homme de gémir, de crier, de se lamenter, d’être brisé et affaibli par la douleur, aussi longtemps que la beauté morale, la dignité, l’honneur seront là, et que, les regardant, tu te maîtriseras, assurément, elle cédera à la vertu, ta douleur, et , à cause de la détermination de ton âme, elle faiblira. En effet ou bien aucune vertu n’existe (la vertu est nulle), ou bien toute douleur doit être méprisée. (la proposition en caractères gras est la base du raisonnement qui suit, la réponse à toutes les questions posées) Veux-tu que le discernement (la sagesse) existe, sans lequel aucune vertu ne peut même être comprise ? Quoi donc ? Est-ce que celui-ci (celle-ci) endurera que tu fasses quoi que ce soit sans en tirer aucun profit et en faisant effort en vain, est-ce que la tempérance te laissera faire quoi que ce soit sans mesure, est-ce que la justice pourra être pratiquée par un homme qui, à cause de la violence de la douleur, révèle les choses qui lui sont confiées, trahit ses associés, délaisse ses nombreux devoirs ?
32 Quoi ? Au courage et à ses compagnons - la grandeur d’âme, la gravité (le sérieux ?), la patience (l’endurance), le mépris des choses humaines – comment répondras-tu ? Est-ce que <si tu es> abattu, gisant à terre, geignant d’une voix plaintive, on dira de toi (littéralement : tu seras entendu dire, tu auras la réputation…) : « Oh ! l’homme courageux ! » Mais, toi, ainsi affecté, personne ne t’appellera même un homme. Il faut donc perdre (renoncer au) le courage, ou bien ensevelir <au fond de soi> la douleur.
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